le 25 Mai 2008 par Mélanie Carpentier
Attention ceci n’est pas un documentaire mais une fiction. Une fiction plus vraie que nature. ‘Entre les murs’ est bien comme l’envisageait son réalisateur, Laurent Cantet, la boîte noire d’un collège. Pourtant, pas besoin d’attendre un crash pour en découvrir le contenu. Le film offre une vision enfin honnête de ce qui se joue dans l'enceinte d’un collège tout au long d'une année scolaire. Loin des clichés du genre, 'Entre les murs' affiche avec talent sa simplicité et montre, sans cesse, l'équilibre fragile mais bien réel de ce microcosme social plein de contradictions. Comment maintenir la discipline sans exclure ? Comment concilier diversité culturelle et culture unique ? Comment mener un conseil de discipline en présence d'une mère qui ne parle pas le français et à qui l'on ne traduit rien ? Dans ce film, les émotions sont palpables. Trois DV - l'une sur le prof, l'autre sur les élèves, la dernière pour saisir l'imprévu - peignent l'authentique que transcende la mise en scène fluide et rigoureuse du réalisateur. Les scènes se succèdent jusqu’à révéler un drame intense. Là où 'L'Esquive' exaltait la tchatche des cités, l'opus de Laurent Cantet aborde l'importance du langage comme fondement même d'une société. La caméra s’arrête autant sur les joutes verbales, les mots de trop, que sur l’impasse linguistique dans laquelle sont souvent plongés les adolescents qui, faute de vocabulaire, ne peuvent exprimer pleinement leurs désaccords. François Bégaudeau, tout à la fois inspirateur, coscénariste et comédien, déroule un jeu juste, démontrant à chaque minute que le métier de prof est semblable à celui d’un funambule partagé entre son envie de s'imposer et celle de séduire. Film à faire naître des vocations, film universel qui explore les racines d’une société, 'Entre les murs' révèle un réalisateur et un scénariste alertes et sincères, en pleine conscience du monde qui les entoure et des menaces qui planent sur l'école.
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CRITIQUE
Genre : labo de langue vivante.
La chronique d'une classe de quatrième sur une année scolaire. C'était la règle que s'était fixée François Bégaudeau, dans son livre. Laurent Cantet la maintient. Face aux élèves qui « vannent » sans arrêt, François a fort à faire. Mais il possède une qualité : il incite à parler, il la joue collectif, pour filer la métaphore footballistique. D'où le feu d'artifice de la langue, avec tous ses rythmes et mixages possibles (verlan, arabe, dialecte, etc.).
L'énergie est le maître mot, ce sur quoi le film s'appuie pour croire que rien n'est perdu. Energie débordante d'une jeunesse peu « gauloise », plurielle. Lorsque Esmeralda, Souleymane ou Khoumba s'expriment, ce sont aussi leurs visages, leurs corps tout entiers qui entrent en action - s'ils n'ont pas tous le niveau scolaire requis, au moins ont-ils la santé, et n'est-ce pas le plus important ? Le film dégage quelque chose de charnel et de pudique à la fois, de musical et de chorégraphique. Comme si l'important, pour Cantet, n'était pas de sonner vrai mais juste.
Ni état des lieux alarmiste, ni profession de foi à l'optimisme béat, le film montre surtout l'école comme le siège d'un formidable jeu social, y compris entre professeurs. Un jeu de pouvoir, de feintes et de stratégies diverses, où chacun tente avec plus ou moins de bonheur de se distinguer. Trouver sa place, c'est le grand thème de Cantet, déjà présent dans Ressources humaines. Il implique une lutte. Ou un match disputé, avec du très beau jeu.
Jacques Morice
Télérama, Samedi 14 novembre 2009
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SÉLECTION OFFICIELLE - EN COMPÉTITION
"Entre les murs" d'une salle de classe
Le Monde 24/05/08
Les salles de classe sont des pièces aussi mystérieuses que les chambres conjugales. Entre les murs éclaire ce mystère en mettant les outils de l'expérience directe au service de la fiction. Cette greffe est rendue possible par l'existence d'un individu qui occupe une multiplicité de positions au centre du film : François Bégaudeau en est à la fois le sujet (il a été professeur), l'inspirateur (il a écrit un roman tiré de son expérience d'enseignant), le coscénariste (avec Laurent Cantet etRobin Campillo) et l'interprète principal.
Cantet ne le laisse pas pour autant kidnapper le film et impose sa mise en scène fluide et rigoureuse. Le scénario, à première vue fait d'une succession de séquences disjointes, révèle progressivement une construction dramatique intense.
Comme son titre l'indique, Entre les murs ne sort jamais de l'enceinte d'un collège du 20e arrondissement de Paris. François Marin (Bégaudeau) y enseigne le français. Le parti pris est de ne montrer qu'une seule des classes de l'enseignant, une quatrième, de septembre à juin. L'essentiel du film est consacré à des cours qui prennent un tour comique, violent ou polémique (Entre les murs fait abstraction d'une des composantes essentielles de la vie scolaire : l'ennui). Ces heures de classe sont ponctuées de réunions (de conseils de classe, entre professeurs, entre enseignants et parents).
Dans ce film sans acteurs professionnels, tout le monde joue très appuyé. Monsieur Marin veut à la fois séduire et en imposer, et se sert à loisir d'une ironie parfois cruelle pour amuser et tenir à distance ses élèves. A ce "jambon-beurre" narquois, ces derniers, en majorité issus de l'immigration opposent le langage de la rue – les mots, les gestes, les vêtements. A chaque séquence consacrée à un cours, le suspense est le même : le dialogue va-t-il s'engager ? La réponse n'est jamais identique. Sans donner la sensation de passer en revue les pièges que doivent affronter enseignants et enseignés, le film couvre en deux heures le très long cours du fossé qui sépare François Marin de ses élèves.
GENTIL, PAS GENTIL
Parmi eux, le scénario privilégie une poignée de premiers rôles. Ceux-ci correspondent à la typologie que tout usager des bancs de l'école connaît bien : la bonne élève, le peut-mieux-faire, le réfractaire. Au début du film, on voit d'ailleurs un professeur qui enseigne depuis longtemps dans le collège passer en revue l'effectif d'une classe, au profit d'un collègue nouvellement arrivé. A chaque nom correspond déjà une appréciation : gentil, pas gentil, s'en méfier...
Cantet et Bégaudeau font travailler à plein les contradictions de l'école en France : le souci de ne pas exclure et la volonté de maintenir la discipline ; la reconnaissance de la diversité et l'enseignement d'une culture unique...
Progressivement, le film se cristallise autour d'une affaire qui oppose François Marin à sa classe. Le professeur paie chèrement une erreur d'appréciation commise pendant un conseil de classe. De malentendus en raidissements, il se met à dos des élèves que l'on aurait crus ralliés à la cause de l'école. Ce conflit culmine en un conseil de discipline déchirant, pendant lequel une mère qui ne parle pas le français, à qui l'on ne traduit rien, voit son fils traduit en justice. Le goût amer que laisse cet épisode achève la construction d'Entre les murs, qui, plutôt qu'un plaidoyer, offre un constat lucide sur une école menacée. Contrairement à leurs jeunes personnages, Cantet et Bégaudeau n'auraient pas pu mieux faire.
Film français de Laurent Cantet avec François Bégaudeau. (2 h 10).